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BAREME « MACRON » : LA COUR CONTRE-ATTAQUE, OU L’AVIS INATTENDU DU 17 JUILLET 2019

Le 12 août 2019
BAREME « MACRON » : LA COUR CONTRE-ATTAQUE, OU L’AVIS INATTENDU DU 17 JUILLET 2019

  

L’un des feuilletons judiciaires les plus intéressants de ces derniers mois est celui du barème relatif aux indemnités prud’homales instauré par les ordonnances du 22 septembre 2017, dit barème « MACRON ».

Depuis le début de l’année 2019, nous vous avons parlé à plusieurs reprises des décisions de divers Conseils de Prud’hommes ayant décidé de s’affranchir de ce barème, jugeant celui-ci incompatible avec les dispositions de l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT, et de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne du 18 octobre 1961. 

Voir nos articles relatifs aux décisions des Conseils de Prud’hommes de TROYES, du 13 décembre 2018 (RG n°18/00036),  d’AMIENS, du 19 décembre 2018 (RG n°18/00040), et de GRENOBLE, du 18 janvier 2019 (RG n°18/00989) :

 

INDEMNITES PRUD’HOMALES : LE DEBUT DE LA FIN DU BAREME MACRON ? du 19 janvier 2019

Et

INDEMNITES PRUDHOMALES : LA MORT ANNONCEE DU BAREME MACRON ? du 6 février 2019

 

D’autres décisions sont intervenues depuis, dont une décision du Conseil de Prud’hommes de PARIS du 1er mars 2019 (RG n°18/00964), qui ne faisait même plus référence au fameux barème, et une autre, plus intéressante encore, rendue par le Conseil de Prudhommes d’Agen le 5 février 2019 (RG n°18/00049), qui avait pour intérêt d’émaner d’une formation de départage, laquelle est composée, en plus des quatre conseillers prud’homaux non professionnels, d’un magistrat professionnel.

Les praticiens du droit attendaient donc avec impatience qu’une position soit émise par les Cours d’Appel saisies de ces dossiers, puis par la Cour de Cassation. 

C’est chose faite depuis l’avis rendu par la Formation Plénière Cour de Cassation le 17 juillet 2019, n° 19-70.010, sans même avoir besoin d’attendre les arrêts de Cour d’Appel.

  

LE BAREME MACRON CONFORME A L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION N°158 DE L’OIT

  

En application de l’article L441-1 du Code de l’Organisation Judiciaire, « Avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l'ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l'avis de la Cour de cassation. »

C’est sur ce fondement que les Conseils de Prud’hommes de Louviers et de Toulouse avaient saisi la Cour de Cassation pour avis, a effet de déterminer si l’article L1235-3 du Code du Travail, prévoyant le barème d’indemnités, était compatible avec les articles 24 de la Charte sociale européenne et 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, ainsi qu’avec le droit au procès équitable protégé par la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

 

La décision rendue est intéressante à plusieurs égards, en marge du barème MACRON :

- Elle confirme en premier lieu la tendance amorcée par la Cour de Cassation à rendre des avis sur la compatibilité d’une disposition de droit interne avec une disposition internationale, alors qu’elle laissait précédemment cette question à l’appréciation des juges du fond ;

- Elle estime, pour la première fois, que l’article 24 de la Charte Sociale Européenne n’est pas d’application directe en droit interne, eu égard à la marge d’appréciation importante laissée aux Etats. Il s’agit là d’une position radicalement opposée à celle exprimée par le Conseil de Prud’hommes de GRENOBLE dans sa décision du 18 janvier 2019 (RG n°18/00989) – VOIR NOTRE ARTICLE A CE SUJET) ;

 

Aussi, après avoir écarté la question relative à la compatibilité du barème avec l’article 6§1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (ce qui était prévisible, le barème ne constituant pas un obstacle procédural entravant l’accès à la justice), et celle de la compatibilité avec l’article 24 de la Charte Sociale Européenne, la Cour se penche sur la question de la compatibilité avec l’article 10 de la convention 158 de l’OIT.

 

Après avoir rappelé que celui-ci est bien d’application directe en droit interne, contrairement à l’article 24 de la Charte, la Cour considère :

- que le terme « adéquat » (indemnité adéquate), doit être compris comme laissant aux Etats une marge d’appréciation ;

- qu’en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse, la juridiction a la possibilité de proposer la réintégration du salarié ;

- qu’en cas de refus par une des parties, il est alloué au salarié une indemnité d’un montant compris entre les maximaux et minimaux définis à l’article L1235-3 du Code du Travail ;

- que ce barème peut être écarté en cas de nullité du licenciement ;

- que l’article L1235-3 qui prévoit une indemnité comprise entre 1 et 2 mois de salaire pour un salarié ayant une année d’ancienneté, dans une entreprise de plus de 10 salariés, est compatible avec l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT ;

 

UN REBONDISSEMENT A LA FOIS INATTENDU ET PREVISIBLE

 

Inattendu en ce que la tendance impulsée par les Conseils de Prud’hommes, y compris en formation de départage, était à la déclaration d’inconventionnalité aux textes internationaux. Si la Cour de Cassation n’est évidemment nullement tenue par les décisions des Conseils de Prud’hommes (et heureusement…), la tendance jurisprudentielle lui donne parfois la possibilité de concrétiser une fronde contre une législation inadéquate.

Prévisible en ce que l’instauration du barème d’indemnités prud’homales était une mesure phare annoncée par le candidat Emmanuel MACRON, et concrétisée dès son accession à la fonction de Président de la République.

Si le Président MACRON s’était alors affranchi du concours de l’Assemblée Nationale, en adoptant ce barème par Ordonnance, ces ordonnances avaient passé avec succès le filtre du Conseil Constitutionnel.

La mesure était par ailleurs voulue pour être un outil de relance de la croissance, et de favorisation de l’emploi sur le territoire (voir NOTRE ARTICLE A CE SUJET).

Invalider le barème aurait signifié revenir au système antérieur, qui, s’il était plus satisfaisant pour les salariés, avait engendré, les années faisant, une désertion du territoire par les investisseurs et entreprises, par peur de notre système de Droit du Travail, trop contraignant à leur goût.

Chacun se fera son opinion sur le bien-fondé de cette vision.

Il n’est ainsi pas à exclure que l’avis de la Cour de Cassation soit un avis rendu en opportunité, à la fois pour laisser sa chance à cet outil de relance, mais également pour éviter l’insécurité juridique d’une variation intempestive de législation.

 

L’IMPACT DE L’AVIS DU 17 JUILLET 2019 DEVANT LES JUGES DU FOND

 

Toujours est-il que le ton est désormais donné par la plus haute juridiction judiciaire de l’Etat, et ce en Formation Plénière, l’avis ayant par ailleurs bénéficié de la plus importante diffusion existant (P+B+R+I), signe s’il en est du symbole que veut en faire la Cour.

Si les avis rendus par la Cour de Cassation ne sont pas impératifs pour les juridictions du fond (il s’agit justement d’avis…), juger de façon contraire exposerait les Conseils de Prud’hommes et Cour d’Appel à la cassation de leur décision, dans la mesure où il serait assez étonnant que la Chambre Sociale de la Cour de Cassation revienne sur cet avis récemment donné.

La possibilité n’est toutefois pas à exclure, et il y a fort à parier que le feuilleton judiciaire ne soit pas tout à fait terminé…

 

Antoine CANAL

 

Pour voir l’avis en texte intégral : https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/avis_15/avis_classes_date_239/2019_9218/juillet_2019_9442/15012_17_43209.html